Plus-values de cession de valeurs mobilières et abattement pour durée de détention: des décisions favorables aux contribuables

Published on 3rd Feb 2016

A l’occasion de deux décisions récentes, le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel ont mis fin à deux différends opposant l’administration fiscale aux contribuables quant aux modalités d’application de l’abattement pour durée de détention mis en place par le législateur depuis le 1er janvier 2013 pour l’imposition sur le revenu des plus-values de cession de valeurs mobilières en présence de moins-values et de complément de prix. Ces deux solutions sanctionnent l’approche conservatrice de l’administration fiscale et ouvre la porte à de possibles réclamations de la part des contribuables.

1. Abattement pour durée de détention et moins-values

Afin d’encourager la détention longue de valeurs mobilières, le législateur a, dans le cadre des lois de finances pour 2013 et 2014, instauré un mécanisme d’abattement pour durée de détention applicable sur les gains nets réalisés par les contribuables. L’abattement de droit commun pratiqué est égal à :

  • 50% du montant des gains nets ou des distributions lorsque les titres sont détenus depuis au moins deux ans et moins de huit ans à la date de la cession ; 
  • 65% de leur montant lorsque les titres sont détenus depuis au moins huit ans.

En se fondant sur la référence faite dans le texte de l’article 150-0 D du Code général des impôts (CGI) aux « gains nets », l’administration fiscale avait estimé que l’abattement pour durée de détention devait s’appliquer non seulement aux plus-values réalisées par les contribuables mais également à ses moins-values (BOI-RPPM_PVBMI-20-20-20-10 § 10).

Cette interprétation était clairement défavorable, le contribuable étant dans l’impossibilité d’imputer l’intégralité de ses moins-values afférentes à des titres détenus depuis plus de deux ans.

Cette lecture allait également à l’encontre des objectifs du législateur dès lors qu’un investisseur « court-termiste » était traité d’une manière moins défavorable qu’un investisseur « long-termiste ».

Dans un arrêt en date du 12 novembre 2015, le Conseil d’Etat a censuré l’analyse de l’administration fiscale en jugeant que l’abattement pour durée de détention n’était pas applicable aux moins-values (CE 12 novembre 2015 n° 390265). De manière pédagogique, le Conseil d’Etat a également exposé la nouvelle méthode à appliquer pour déterminer l’assiette imposable en présence de moins-values réalisées par le contribuable. Il ressort ainsi de l’arrêt que « les gains nets imposables sont calculés après imputation par le contribuable sur les différentes plus-values qu’il a réalisées, avant tout abattement, des moins-values de même nature qu’il a subies au cours de la même année ou reportées […], pour le montant et sur les plus-values de son choix, et … l’abattement pour durée de détention s’applique au solde ainsi obtenu, en fonction de la durée de détention des titres dont la cession a fait apparaître les plus-values subsistant après imputation des moins-values ».

La nouvelle lecture de l’article 150-0 D du CGI présente plusieurs avantages. Tout d’abord, elle correspond mieux à l’objectif du législateur de favoriser et d’encourager l’investissement à long terme par les particuliers. Elle est également plus favorable aux contribuables qui peuvent désormais imputer l’intégralité des moins-values réalisées pour le montant et sur les plus-values de leur choix. En pratique, les contribuables auront donc tout intérêt à imputer leurs moins-values en priorité sur les plus-values issues de titres détenus depuis moins de deux ans.

Prenons l’exemple d’un contribuable qui a réalisé en 2015 une plus-value de 1 500 euros lors de la cession de titres détenus depuis 4 ans. Au cours de la même année il cède également d’autres titres détenus depuis plus de huit ans et réalise une moins-value de 1 700 euros. En appliquant la position de l’administration fiscale le contribuable, qui n’a pourtant réalisé aucun gain au cours de l’année 2015, est imposé à l’impôt sur le revenu sur la base suivante : 

(1 500*(1-50%)) – (1 700*(1-65%)) = 155
Avec l’arrêt du Conseil d’Etat, la base de l’IR est en revanche égale à :
1 500 – 1 700 = 0
Le contribuable peut donc réduire à zéro sa base taxable et peut même reporter le solde de la moins-value non encore imputée, soit 200 euros.

2. Abattement pour durée de détention et complément de prix

Lors de la cession des titres d’une entreprise, les parties peuvent classiquement prévoir qu’un complément de prix – ou earn-out – sera versé par le cessionnaire au cédant. Ce complément de prix permet d’indexer une partie du prix d’achat des titres sur les résultats de la société dont les titres sont rachetés. L’administration fiscale précise sur ce sujet que le complément de prix peut ainsi être notamment indexé sur le chiffre d’affaires de la société ou sur d’autres critères en relation directe avec l’activité de la société dont les titres sont cédés; par exemple le nombre de ses salariés ou de ses clients, le nombre d’ouverture de comptes ou la consommation de matières premières (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-10-20 § 10).

Si le complément de prix est soumis à la même taxation que la plus-value initiale il n’est pas nécessairement imposé au cours de la même année que la plus-value initiale dès lors que l’article 150-0 A, I-2 prévoit qu’il est imposé au titre de l’année au cours de laquelle il est reçu.

Ce décalage temporel entre l’imposition de la plus-value initiale de celle du complément de prix peut poser problème, notamment lorsque la règle fiscale est modifiée dans cet intervalle.

La question s’est donc naturellement posée de savoir quel serait le traitement fiscal des compléments de prix reçus après le 1er janvier 2013 mais se rapportant à des cessions intervenues avant cette date. Plusieurs hypothèses étaient alors envisageables.

Dans l’hypothèse la plus favorable aux contribuables, le complément de prix devait pouvoir bénéficier du même régime fiscal que la plus-value initiale réalisée antérieurement au 1er janvier 2013. Selon cette analyse le complément de prix devait alors être été soumis à l’impôt sur le revenu à un taux proportionnel de 24% en cas de cession intervenue en 2012 ou de 19% en cas de cession antérieure.

L’administration fiscale, se fondant sur une interprétation littérale de l’article 150-0 D, 1. alinéa 3 du CGI, avait toutefois retenu une interprétation différente. Elle estimait en effet que le complément de prix devait être soumis au barème de l’impôt sur le revenu et que, quelle que soit la date du versement de celui-ci, le taux de l’abattement pour durée de détention ne pouvait qu’être que celui retenu pour la détermination de la plus-value initiale de cession. Ainsi s’agissant d’une cession intervenue antérieurement au 1er janvier 2013, et qui n’avait donc en principe pas bénéficié d’un abattement pour durée de détention, l’administration estimait que le complément de prix se rapportant à cette cession n’était pas éligible à un abattement pour durée de détention quand bien même les titres cédés étaient détenus, lors de la cession, depuis au moins deux ans.

Saisi par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité sur cette question, le Conseil constitutionnel a, dans une décision rendue le 14 janvier 2016, clarifié le différend qui opposait l’administration fiscale à certains contribuables (C. constit., décision 2015-515 QPC du 14 janvier 2016).

Le Conseil constitutionnel déclare tout d’abord que la disposition, selon laquelle le complément de prix afférent à la cession de titres est réduit du même abattement pour durée de détention applicable lors de la cession, est conforme à la Constitution. Ainsi, le Conseil constitutionnel confirme que les compléments de prix reçus postérieurement au 1er janvier 2013 mais se rapportant à des cessions antérieures ne pouvaient pas être soumis à l’impôt sur le revenu à un taux proportionnel.

En revanche les Sages émettent une réserve d’interprétation lorsque la cession est intervenue avant 2013 ou n’a pas dégagé de plus-value. Afin d’éviter une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques, le Conseil constitutionnel estime ainsi que les dispositions de l’article 150-0 D du CGI ne peuvent empêcher un contribuable de bénéficier de l’abattement pour durée de détention lorsque, à la date de la cession, la condition de durée de détention était remplie.

Cette décision, favorable aux contribuables, permet donc l’application de l’abattement pour durée de détention à tous les compléments de prix versés depuis 2013, dès lors qu’à la date de la cession des actions la condition de durée de détention était satisfaite, et ce que la cession ait eu lieu avant le 1er janvier 2013 ou qu’elle n’ait pas dégagé de plus-value.

3. Quelles suites donner à ces deux décisions?

Les contribuables qui ont subi un préjudice du fait de l’application de l’une de ces deux interprétations de l’administration fiscale peuvent déposer une réclamation tendant à obtenir le remboursement de la différence entre les montants d’impôts et de prélèvements sociaux acquittés et ceux qui auraient effectivement dû être versés en application des décisions du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel, le cas échéant assorti d’intérêts moratoires au taux de 4,80% par an. Les réclamations devront être adressées à l’administration fiscale avant le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la mise en recouvrement du rôle, soit jusqu’au 31 décembre 2016 pour les revenus 2013 mis en recouvrement en 2014, et jusqu’au 31 décembre 2017 pour les revenus de 2014 mis en recouvrement en 2015.

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* This article is current as of the date of its publication and does not necessarily reflect the present state of the law or relevant regulation.

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