Vers une action en réparation de pratiques anticoncurrentielles plus efficace

Published on 11th May 2016

Les actions en indemnisation des victimes de pratiques anticoncurrentielles constituent un élément majeur d’un système efficace de sanction des infractions au droit de la concurrence à l’initiative de la sphère privée. L’enjeu économique de cette simple application du droit commun de la responsabilité civile est considérable. Pourtant, en pratique, ces procédures sont relativement rares en France.

En droit français, la loi n° 2014-344 relative à la consommation, dite « Hamon », du 17 mars 2014, a introduit dans le code de la consommation une action de groupe obéissant à des règles spéciales pour la réparation des dommages causés par des pratiques anticoncurrentielles. L’action n’est cependant ouverte qu’aux consommateurs.

Face au constat de l’inefficacité des actions en réparation et de la difficulté d’établir les conditions de la responsabilité civile des défendeurs, l’Union européenne a adopté la directive 2014/104/UE relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne. Sa transposition est prévue au plus tard le 27 décembre 2016.

En France, pour tenter de tenir ce calendrier, le projet de loi SAPIN II adopté en Conseil des ministres le 30 mars 2016 sollicite du parlement l’autorisation pour le gouvernement de transposer la directive 2014/104 par voie d’ordonnance. La loi ne sera toutefois pas adoptée avant l’été prochain ce qui rend la tenue du calendrier de transposition d’ores et déjà difficile.

Les principaux éléments d’impact de la directive en droit français

Afin de faciliter la charge de la preuve aux victimes de comportements anticoncurrentiels, souvent peu perméables aux procédures devant les autorités de concurrence, les Etats membres sont priés d’introduire des règles permettant aux juridictions nationales d’enjoindre au défendeur ou à un tiers de produire des données factuelles et des preuves suffisantes pour étayer la demande de dommages et intérêts. Pour éviter la production de preuves excessivement larges, ces demandes devront être proportionnées. Ce mécanisme rappelle la procédure de discovery et nécessitera une adaptation de la procédure civile française, même si l’article 145 du Code de procédure civile permet déjà d’obtenir des preuves avant tout procès.

La directive prévoit également qu’une pratique anticoncurrentielle constatée par une décision devenue définitive constituera une preuve irréfragable aux fins d’une action privée introduite devant les juridictions nationales de l’Etat concerné et une preuve prima facie, dans tout autre Etat membre de l’Union.

Par ailleurs, la directive requiert que les délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts soient de cinq ans minimum, ce qui correspond au délai prévu par l’article 2224 du code civil. Néanmoins, le droit français devra prévoir que la prescription est suspendue ou interrompue par tout acte d’une autorité de concurrence visant à l’instruction ou à la poursuite d’une infraction. En outre, les délais de prescription ne pourront commencer à courir avant que l’infraction ait cessé et que le demandeur ait été mis en mesure de prendre connaissance de l’infraction.

Enfin, la directive confirme la possibilité pour le défendeur d’invoquer l’argument tiré de la répercussion du surcoût résultant de la pratique anticoncurrentielle constatée (passing on defence), qui permet d’exclure du montant indemnisable les sommes répercutées par le demandeur en tout ou partie auprès de ses propres clients.

La cession des droits à réparation

Dans la plupart des pays européens et en France en particulier, les victimes sont dispersées et insuffisamment incitées à agir en justice. Les dommages sont répartis sur un nombre élevé de victimes dont aucune n’a intérêt à agir de manière isolée. L’action de groupe n’étant pas ouverte aux entreprises agissant à titre professionnel, le rachat, par un agent privé, des droits litigieux des victimes de pratiques anticoncurrentielles pourrait constituer un nouvel outil renforçant l’attractivité des actions privées.

La faculté de céder son action en justice est reconnue par de plus en plus de juridictions dans les Etats membres de l’Union Européenne (i.e. arrêt de la Cour d’appel de Düsseldorf du 4 mai 2008, Cartel Damages Claims SA ). Elle présente un caractère innovant dans le contexte juridique français et permet d’inciter davantage à la mise en œuvre privée du droit de la concurrence.

En droit français, par un arrêt en date du 10 janvier 2006 , la Cour de cassation a reconnu qu’une action en justice pouvait faire l’objet d’une convention de cession. Il est vrai, hors du droit de la concurrence.

D’un point de vue contractuel, le régime juridique de la cession d’un droit à agir étant calqué sur le régime de la cession de créance, le consentement du cédé n’est pas nécessaire. Seules sont exigées les formalités d’opposabilité de l’article 1690 du Code civil, à ceci près que l’assignation pourrait valoir signification à l’égard du débiteur cédé.
Par ailleurs, la jurisprudence reconnait la validité des cessions de créances futures et donc la cession d’actions en justice respecterait les dispositions de l’article 1108 du Code civil.

Enfin, l’article 1699 du Code civil permet au débiteur cédé d’un droit litigieux, qui pourrait être l’auteur du comportement anticoncurrentiel, de mettre fin au procès en versant au demandeur le prix auquel il a racheté la créance. Le retrait litigieux permet de retirer à l’opération une logique spéculative mais est conditionné par le fait que le procès doit avoir été engagé avant la date de cession . Il semble donc que le rachat des droits des victimes d’une pratique anticoncurrentielle, ne pourrait pas faire l’objet d’un retrait litigieux si au jour de la cession aucun procès ne lie la victime à l’auteur de la pratique reprochée.

D’un point de vue processuel, l’intérêt à agir du cessionnaire (contournement du principe « nul ne plaide par procureur ») est évident et procède de la simple détention de la créance. Le cessionnaire n’agit pas en représentation des victimes mais en son nom propre.

Qu’on le veuille ou non, le droit français devra s’adapter à ces nouvelles évolutions faute de quoi, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, la plupart de ces litiges seront initiés devant des tribunaux étrangers et les tribunaux français ne pourront pas en connaître.

Pour les entreprises victimes françaises, une telle situation n’est pas satisfaisante.

Il n’est pas non plus certain que les défendeurs français aient intérêt à résister aux changements qui s’opèrent pour la mise en œuvre des actions en réparation car être attraits devant les tribunaux étrangers avec toutes les difficultés en termes de compréhension et coût de la défense que cela entraîne n’est pas non plus à leur avantage. Cela est d’autant plus vrai qu’une même entreprise peut à la fois être défendeur à une procédure d’action en réparation et victime dans une autre.

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