A peine plus d'une semaine après la Commission, l'Autorité de la concurrence sanctionne aussi des pratiques de non-débauchage sur le fondement des ententes
Publié le 12th June 2025
A peine plus d’une semaine après la Commission européenne, l’Autorité de la concurrence prononce une sanction de 29,5 millions d’euros à l’encontre de quatre entreprises actives dans les secteurs de l’ingénierie, du conseil en technologie et des services informatiques compte-tenu de deux accords de non-débauchage sur le fondement de l’article L.420-1 du Code de commerce.

A supposer qu’on en doute encore, la question de la possible sanction d’accords de non-débauchage par le droit de la concurrence fait partie de l’actualité brulante ! On se rappelle que, le 2 juin dernier, la Commission européenne avait sanctionné deux entreprises actives dans le secteur de la livraison de denrées alimentaires en ligne à hauteur de 329 millions d’euros du fait d’une entente notamment matérialisée par des accords de non-débauchage.
C’est maintenant l’Autorité de la concurrence qui sanctionne, par une décision du 11 juin 2025 non encore publiée (n°25-D-05), les entreprises Ausy (devenue Randstad Digital) et Alten d’une part ainsi que Expleo et Bertrandt d’autre part, à hauteur de 29,5 millions d’euros au total (étant précisé qu’Ausy a bénéficié d’une exonération totale en tant que demandeur à la procédure de clémence). Cette sanction découle, de manière inédite en Europe, de la mise en place d’accords généraux de non-débauchage constituant une entente illicite par objet, sans que ces accords ne participent à une entente plus globale caractérisée par d’autres éléments. L’Autorité précise que ce type de sanction vise à lutter contre des agissements portant atteinte à la liberté de mouvement des salariés et pouvant, dans le même temps, nuire à la concurrence entre employeurs.
Dans les faits, entre 2007 et 2016, Alten et Ausy avaient conclu un gentlemen’s agreement général au titre duquel elles s’interdisaient mutuellement l’embauche de leurs équipes managériales, sans limite spatio-temporelle, que ce soit à la suite d’un débauchage actif ou d’une sollicitation passive de l’entreprise par un candidat. Les accords prévoyaient en outre que les entreprises devaient se consulter en cas de projets de mouvements de salariés. Le gentlemen’s agreement conclu entre Bertrandt et Expleo était très similaire excepté concernant sa durée de mise en œuvre - seulement entre février et septembre 2018.
Dans le cadre de son analyse, l’Autorité s’est également penchée sur un « pacte de non-agression » concernant les ressources humaines d’Ausy et Atos qu’elle n’a, faute de preuves, pas caractérisé d’accord de non-débauchage interdit. Plus encore, l’Autorité est parvenue à la même conclusion s’agissant de clauses de non-sollicitation de personnel contenues dans des contrats de partenariats entre Ausy et Atos d’une part et Bertrandt et Expleo d’autre part et ce, après une analyse de concurrence approfondie sur la teneur, le contexte économique et juridique dans lequel s’inscrivaient ces clauses et leurs objectifs.
Comme l’explique l’Autorité, cette décision semble influencée par la rareté et l’importance des ressources humaines dans le secteur du numérique (ce qu’elle avait déjà mis en exergue dans son avis n° 24-A-05 du 28 juin 2024 relatif au fonctionnement concurrentiel du secteur de l’intelligence artificielle générative). Néanmoins, si l’on rapproche cette décision de celle de la Commission du 2 juin dernier dans le secteur de la livraison de denrées alimentaires en ligne, il semble moins aisé de considérer, par principe, que les accords de non-débauchage sont davantage sanctionnés concernant des métiers rares et à haute valeur ajoutée.
Nul doute en effet qu’il faut analyser d’un nouvel œil les clauses de non-débauchage de personnel mais aussi les clauses de non-débauchage pour s’assurer qu’elles ne soient pas constitutives d’ententes (par exemple compte-tenu de leur caractère général et illimité dans le temps), et ce, quelle que soit la valorisation des salariés pour la prestation offerte par l’entreprise qui les emploie.
A noter enfin (i) que la sanction est aussi inédite en ce que l’Autorité impose aux entreprises sanctionnées de publier un résumé de la présente décision sur le réseau social LinkedIn (en plus d’une publication dans une édition électronique et papier du journal Le Monde Informatique) et (ii) que, compte-tenu d’une disjonction du dossier (en date du 15 juin 2023), l’instruction de celui-ci se poursuit sur tous les autres agissements des entreprises mises en cause en dehors des pratiques de non-débauchage.