Décarbonation

Equilibre délicat entre l’épuisement des droits de propriété intellectuelle et le reconditionnement de produits électroniques 

Publié le 23rd Nov 2021

La production de smartphones et de tablettes numériques est la première industrie mondiale en termes d’émissions de carbone. Le « consommer mieux » étant devenu un enjeu majeur, les consommateurs se tournent ainsi de plus en plus vers des produits électroniques dits « reconditionnés ».

A ce jour, il n’existe pas en France de définition légale du terme « reconditionné », lequel est généralement employé pour désigner un produit de seconde main mis en vente après avoir fait l’objet d’une intervention technique plus ou moins importante (diagnostic de l’état du produit, réparation, remplacement des pièces) et/ou d’un remballage. Cela devrait changer très prochainement.
 

En effet, à la suite de l’adoption de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, les autorités françaises ont notifié à la Commission européenne, le 21 janvier 2021, un projet de décret relatif aux conditions d’utilisation de ce terme par les opérateurs économiques. Il résulte de ce projet que les smartphones ou autres produits électroniques ne pourront être qualifiés de « produit reconditionné » ou être accompagnés du terme « reconditionné » que s’il s’agit de (i) produits d’occasion (ii) ayant subi des tests portant sur toutes leurs fonctionnalités afin d’établir qu’ils répondent aux obligations légales de sécurité et à l’usage auquel le consommateur peut légitimement s’attendre, ainsi que, s’il y a lieu, une ou plusieurs interventions afin de leur restituer leurs fonctionnalités et que (iii) toutes les données à caractère personnel enregistrées ou conservées en lien avec un précédent usage ou un précédent utilisateur ont été  supprimées dans le respect des dispositions du règlement (UE) n° 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. 

Tel que l’a rappelé le gouvernement français, « le développement du marché des produits reconditionnés, qui préserve l’environnement, doit se faire en garantissant les droits des consommateurs ».

Au-delà de la protection des consommateurs, la distribution de biens électroniques reconditionnés pose également des questions s’agissant des éventuels droits de propriété intellectuelle des fabricants et/ou des distributeurs des biens d’origine, et notamment quant à la nécessité d’obtenir leur autorisation. D’un point de vue juridique, le droit français, conformément au droit de l’UE, prévoit qu’une fois qu’un bien protégé par un droit de propriété intellectuelle a été légalement mis sur le marché de l’UE (ou de l’EEE), c’est-à-dire par le titulaire de ce droit ou avec son consentement, les droits conférés par ce droit de propriété intellectuelle en relation avec l’exploitation commerciale du bien sont épuisés. En d’autres termes, le titulaire ne peut plus invoquer son droit de propriété intellectuelle pour faire obstacle à la revente, la location ou à toute autre forme d’exploitation commerciale du bien en cause par des tiers. 

Le droit français, en accord avec le droit de l’UE, nuance quelque peu cette règle générale d’épuisement des droits de propriété intellectuelle en prévoyant certaines exceptions.

Plus précisément, en droit des marques, le titulaire d’une marque peut s’opposer à l’exploitation commerciale ultérieure de ses produits, mis légalement sur le marché de l’UE, lorsqu’il existe des « motifs légitimes », liés notamment à « la modification ou à l'altération, ultérieurement intervenue, de l'état des produits ». Aussi, l’opérateur qui reconditionne un smartphone, revêtu d’une marque donnée et qui a été légalement mis sur le marché de l’UE, peut-il se voir opposer que la marque n’a finalement pas été épuisée au motif que l’état du smartphone a été altéré, l’obligeant alors à obtenir l’accord du titulaire de la marque ? Prenons par exemple le cas où une ou plusieurs pièces du smartphone d’occasion ont été remplacées par des pièces qui ne sont pas d’origine, afin de lui restituer ses fonctions techniques ; Si ces nouvelles pièces présentent un problème de sécurité, il est très probable que les consommateurs seront amenés à penser que c’est le titulaire de la marque qui en est responsable. Ainsi, dans ce cas, il apparait légitime pour le titulaire de la marque de contester l’épuisement de sa marque afin de protéger sa réputation. 
En réalité, il sera nécessaire d’apprécier au cas par cas si telle ou telle intervention participant au processus de reconditionnement est susceptible d’entrainer une modification ou une altération de l’état du produit en cause. 

Dans tous les cas, les opérateurs qui reconditionnent des biens en vue de leur revente, tout en maintenant leur marque, devront veiller à respecter sa fonction de garantie d’identité d’origine. Cela implique que le consommateur final soit en mesure d’identifier clairement l’origine du produit reconditionné (obligations d’informations spécifiques, utilisation d’un nouvel emballage, etc.).

En ce qui concerne les brevets, la jurisprudence française semble, à date, distinguer entre les opérations de recyclage, de réparation et de reconstruction : (i) le recyclage au sens de la réutilisation à d’autres fins d’un bien qui n’est plus protégé pourrait être admis, (ii) une réparation limitée à des interventions mineures, telles que le nettoyage, le démontage et le réassemblage pour restaurer les fonctionnalités du bien pourrait également être admis, (iii) en revanche, le changement d’une pièce essentielle du bien ou la reproduction d’un de ses composants protégés par un brevet pourrait être qualifié de contrefaçon.

Cette problématique de l’épuisement se complique encore par le fait que les exceptions à la règle de l’épuisement des droits de propriété intellectuelle ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agit de droits de propriété littéraire et artistique ou bien de droits de propriété industrielle. Ceci étant dit, en ce qui concerne le droit d’auteur et le droit des dessins et modèles, tant que les interventions sur le bien électronique d’occasion n’ont pas pour effet de porter atteinte à son intégrité, ces droits – lorsqu’ils existent – devraient être considérés comme épuisés et aucune autorisation ne devrait être sollicitée auprès de leur titulaire. Cela devra également faire l’objet d’une analyse au cas par cas.

Par conséquent, afin de pouvoir commercialiser un bien électronique reconditionné, il est nécessaire de :

  • s’assurer en premier lieu que le produit en cause a été légalement mis sur le marché de l’UE (ou de l’EEE) par le titulaire des droits de propriété intellectuelle ou avec son consentement ;
  • vérifier que les opérations à effectuer pour tester et/ou restaurer les fonctionnalités du bien électronique ne sont pas susceptibles de faire obstacle à l’épuisement des droits de propriété intellectuelle en cause, et le cas échéant, prendre les mesures nécessaires (demande d’autorisation auprès des titulaires de droits concernés, retrait de la marque, modification du packaging, etc.).

Pourquoi est-ce important à souligner ?
Avec de plus en plus de produits électroniques dits « reconditionnés » vendus dans l’UE ou l’EEE et  l’émergence de nouvelles plateformes numériques pour les vendre, l’adoption d’une réglementation et de lignes directrices claires et harmonisées apparait nécessaire pour apporter une sécurité juridique aux distributeurs de produits reconditionnés. En effet, la réutilisation et/ou le recyclage de biens électroniques (en particulier de smartphones) sont essentiels pour promouvoir l’économie circulaire, dont la consommation responsable est l’un des piliers, afin de réduire les impacts sur l’environnement. 

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* This article is current as of the date of its publication and does not necessarily reflect the present state of the law or relevant regulation.

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