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Communiquer sur son ambition de neutralité carbone - enjeux et risques : le cas TotalEnergies (Tribunal judiciaire de Paris, 23 octobre 2025, N° RG 22/02955)

Publié le 24th November 2025

Ce qu’il faut retenir :

  • Distinction entre communication commerciale et communication institutionnelle, mais pas d’imperméabilité : Les allégations faites dans un contexte  commercial sont celles susceptibles d’être sanctionnées au titre des pratiques commerciales trompeuses. En l’espèce, les allégations faites sur le site marchand de TotalEnergies, sur lequel les consommateurs peuvent souscrire des offres, sont considérées comme des pratiques commerciales. A l’inverse, les communications faites sur le site institutionnel du groupe et sur les réseaux sociaux, sans lien direct avec la promotion ou la vente de produits, qui portent notamment sur le changement de nom et de stratégie du groupe, sont considérées comme purement informationnelles et dès lors non soumises aux règles sur les pratiques commerciales déloyales. Toutefois, pour interpréter la portée et le sens des allégations de neutralité carbone de TotalEnergies, le tribunal se réfère directement au rapport du conseil d’administration sur la base duquel la campagne a été lancée, et utilise ainsi une communication institutionnelle pour interpréter le sens de communications commerciales et évaluer leur caractère trompeur.
  • Circonstances pouvant rendre trompeuse une allégation sur l’ambition de neutralité carbone d’une entreprise (ex : “neutre en carbone d’ici 2050”) : En dépit de l’absence de référence expresse à l’Accord de Paris dans les communications commerciales de TotalEnergies et du fait que cet Accord n’est en principe opposable qu’aux Etats, le tribunal retient que la neutralité carbone devait être comprise au sens qui lui est donné par l’Accord, et non au regard du plan mis en œuvre à son échelle par TotalEnergies qui avançait que cela était permis par la directive 2024/825 (dite « Empco ») bientôt applicable. Pour parvenir à cette conclusion, le tribunal relève le fait que l’Accord de Paris était cité dans le rapport du conseil d’administration du groupe servant de base aux communications, ainsi que l’utilisation de termes globalisant (ex: “ensemble avec la société”). C’est ainsi que le tribunal reproche à TotalEnergies de ne pas avoir mentionné dans ses communications commerciales, que son propre scénario impliquait la poursuite de ses investissements dans les énergies fossiles, ce qui va à l’encontre des objectifs de l’Accord de Paris et ce qui, en tout état de cause, rend impossible toute allégation environnementale non nuancée. Ainsi s’il semble rester possible pour une entreprise de faire état d’une ambition de neutralité carbone dont la définition et les modalités seraient différentes de celles posées par l’Accord de Paris, cette entreprise doit, même si elle a un plan de mise en œuvre conforme à la Directive Empco, révéler dans sa communication toute information substantielle qui viendrait nuancer la portée de ses engagements environnementaux par rapport à l’objectif global de neutralité carbone annoncé, et ce d’autant plus quand elle fonde sa communication sur des textes ne prévoyant pas de telles nuances.
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Le 23 octobre 2025, le tribunal judiciaire de Paris a condamné TotalEnergies (TE) et TotalEnergies Électricité et Gaz France (TE&GF) pour allégations environnementales trompeuses, à la suite d’une action engagée par les associations Greenpeace France, Notre Affaire à Tous et Les Amis de la Terre.

Dans le sillage du changement de nom de « Total » en « TotalEnergies » annoncé en mai 2021, le groupe avait déployé une vaste campagne de communication multicanale (site internet, presse, télévision, réseaux sociaux). Les associations reprochaient au groupe d’avoir présenté de manière trompeuse son « ambition de neutralité carbone d’ici 2050 » et son positionnement d’« acteur majeur de la transition énergétique », ainsi que les performances environnementales du gaz fossile et des agro-carburants.

Sur les allégations relatives à la neutralité carbone

Les associations demandaient au tribunal de qualifier de pratiques commerciales trompeuses les allégations portant sur le fait que le groupe TotalEnergies aurait "une ambition neutralité carbone d'ici 2050 " ou " net zéro 2050 " et qu'il serait ou deviendrait "un acteur majeur de la transition", ainsi que celles laissant croire aux consommateurs que le groupe aurait adopté une stratégie climatique le plaçant sur une trajectoire compatible avec une trajectoire globale "1,5° " conformément à l' Accord de Paris et aux référentiels existants, dans le cadre de leur communication.

En réponse, les sociétés TE et TE&GF faisaient valoir, en substance, que la plupart des communications faisaient partie de la communication institutionnelle du groupe, sans lien direct avec la vente de produits, et ne pouvaient donc pas être qualifiées de pratiques commerciales au sens de la directive 2005/29 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs (ci-après « directive 2005/29 ») et intégrée dans le code de la consommation français. Elles faisaient également valoir que les associations ne prouvaient pas que ces allégations seraient susceptibles d'influencer la décision d'achat du consommateur, le choix de se fournir en gaz et électricité dépendant selon elles d'abord de l'équipement domestique du consommateur, sur lequel elles n'ont pas de prise, et du prix. Enfin, elles réfutaient le caractère trompeur des communications en soutenant qu’il n’existerait ni trajectoire réglementée ni consensus scientifique imposant aux entreprises d’arrêter immédiatement tout investissement fossile pour viser la neutralité carbone, et que l’Accord de Paris, notamment en ce qu’il définit la neutralité carbone à l’échelle planétaire et les objectifs que les Etats doivent atteindre, ne leur était pas directement applicable.

Tout d’abord, le tribunal rejette les demandes des associations portant sur certaines communications qui figuraient sur le site non marchand de la société mère du groupe. Le tribunal considère en effet qu’il ressortait de l’examen de leur contenu qu’il s’agissait de communication à vocation informationnelle, sans relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs. Ces communications ne constituent donc pas une pratique commerciale et étaient donc hors du champ d’application de la directive 2005/29.

Le tribunal considère en revanche que les communications extraites du site commercial édité par TE&GF, qui sont notamment assorties de parcours de souscription et d’offres sont des pratiques commerciales en relation directe avec la fourniture des produits aux consommateurs, et sont donc soumises aux règles de la directive 2005/29.

S’agissant du caractère trompeur des allégations litigieuses, le tribunal retient ce qui suit :

  • Le groupe faisait référence à la notion de neutralité carbone planétaire, au sens de l’Accord de Paris, dans son rapport au conseil d’administration sur les résolutions soumises à son assemblée générale, à partir desquelles il avait lancé sa campagne. En s’appuyant notamment sur le constat de l’Autorité des Marchés Financiers selon lequel les entreprises faisaient de plus en plus référence à la notion de neutralité carbone au sens de l’Accord de Paris pour décrire leurs ambitions, et au regard du vocabulaire utilisé par Total dans ses communications (objectif d’atteindre la neutralité carbone “Face au défi climatique”, “dans un esprit collectif”, “ensemble avec la société”), le tribunal considère que le groupe faisait “sans ambiguïté écho” au concept de neutralité carbone à l’échelle planétaire au sens de l’Accord de Paris, et ce, malgré l’absence de référence explicite à cet Accord dans ses communications commerciales.

  • Le groupe se référait, dans ses communications commerciales, à la double ambition d'atteindre la neutralité carbone au sens de l'Accord de Paris et d'être un acteur majeur de la transition énergétique, sans préciser aux consommateurs que le groupe TotalEnergies avait son propre scénario, consistant notamment à rendre compatible avec son ambition de neutralité carbone, la poursuite de ses investissements dans le pétrole et le gaz, ce qui est clairement à rebours des préconisations des travaux scientifiques alignés sur l'Accord de Paris. Dès lors, les allégations environnementales du groupe TotalEnergies étaient de nature à induire en erreur le consommateur, en lui laissant croire, qu'en achetant ses produits ou ses services, il participait à l'émergence d'une économie à faible intensité carbone.

  • L’absence de mention ou de renvoi accompagnant l'objectif collectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, empêchait le consommateur de comprendre la portée et les limites de l’engagement du groupe, et constituait donc, en outre, une omission trompeuse. Ces allégations ont manifestement altéré, de manière substantielle, le comportement économique d'un consommateur normalement attentif et avisé dont le choix, s'il demeure guidé par le prix, intègre de plus en plus les qualités environnementales du produit ou du service.

Le tribunal ordonne à TE et TE&GF de cesser de diffuser les communications litigieuses sur son site internet. Le tribunal les condamne également à publier, pendant 180 jours, sur leur site internet, de façon visible dans un encadré, un lien vers le dispositif de la décision. Les sociétés sont enfin condamnées à verser à chacune des associations la somme de 8.000€ en réparation du préjudice subi.

Sur les allégations relatives aux performances environnementales du gaz fossile et des agro-carburants

Les associations sollicitaient également du tribunal qu’il qualifie de trompeuses les allégations portant sur l’impact environnemental :

  • du gaz fossile (" bon marché ", " la moins émettrice ", " complément indispensable des énergies renouvelables", empreinte carbone "plus faible que celle des autres carburants fossiles ", etc.) ; et
  • des agro-carburants (allégations sur le fait qu’ils permettraient "une réduction d'au moins 50% des émissions de CO2 par rapport à leurs équivalents fossiles " voire  "90%", et seraient une solution essentielle pour décarboner les transports).

La plupart des communications litigieuses ayant été diffusées sur les réseaux sociaux de Total, dans le cadre de sa communication autour du changement de nom et de stratégie du groupe, le tribunal considère qu’elles n’avaient qu’une vocation informationnelle, sans lien direct avec la promotion, la vente ou la fourniture des énergies aux consommateurs. Il ne pouvait donc pas s’agir, selon le tribunal, de pratiques commerciales au sens de la directive 2005/29. 

* This article is current as of the date of its publication and does not necessarily reflect the present state of the law or relevant regulation.

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